Introduction
Il est question d’un extrait de l’œuvre “Le Triomphe de l’Amour” de Marivaux, acte I, scène 8, dans laquelle jouent deux personnages : La princesse sous le nom de Phocion et Hermocrate.
La pièce, jouée la première fois en 1732, correspond selon le critère de Pierre Malandrin, à un genre dramaturgique féerique, tant par la mise en scène de personnages historiques de l’antiquité grecque : Aspasie, Phocion, Agis, Hermocrate, etc.
Le style est représentatif de l’époque de renouveau : rappel des Italiens, et souffle de libéralisme, que connaît la France de la Régence.
Quant au procédé, le travestissement à une place de choix démystifiant le statut social et de pouvoir homme/femme et, par un jeu de “masque”, soulevant un questionnement fertile de la fonction de chacun, de ce qui tourmente l’un et l’autre des deux sexes dans leur rapport, de ce qui rend ce rapport singulier, le tout sur un ton vraisemblable au trait d’esprit.
Une dramaturgie du secret et de la surprise qui ne se trahit à cet extrait en trois mouvements :
I. Impasse ! Hermocrate connaît tout du sexe de Phocion, elle doit partir et tentative de le sensibiliser à l’endroit de son désir (à elle) qui échoue, de “Seigneur, écoutez-moi !” à “tout est poison pour qui l’écoute”
II. Tentative de le raisonner à l’endroit de son statut qui échoue de “Grands dieux !” à “abrégeons, quels sont vos desseins ?”
III. Tentative de troubler son esprit à l’endroit de son désir (à Hermocrate) qui réussit de “Ce récit vous paraît frivole” à “je vous suis”.
I. De “Seigneur, écoutez-moi !” à “tout est poison pour qui l’écoute” : L’impasse, Hermocrate dévoile le vrai sexe de Phocion
L’enjeu premier de Phocion est de rester auprès d’Agis et pour cela, elle tente de convaincre Hermocrate, ayant déjà réussi à obtenir les appuis de la sœur et du jeune prince.
Au début de l’extrait, elle a déjà avoué (malgré elle) son sexe et prétexte d’un amour pour lui (et non Agis) mais Hermocrate (raisonnable) refuse de l’entendre et rechigne sous l’étendard de la rudesse, à ce qu’elle se justifie (et reste).
Phocion interpelle alors Hermocrate à l’endroit de son désir d’être aimée et insiste à le lui faire entendre. Si partir semble répondre d’une indifférence, le génie de Phocion est d’interpeller son interlocuteur ou le sonder à un endroit qu’il ne peut s’en départir (lui permettant de rester) celui d’ôter à son endroit (à Hermocrate) le désir de Phocion (pour lui) …
Ce stratagème articulé autour de son désir se bute à une indifférence déclarée qui vient malgré tout en réaction à un discours qui commence à le ronger, “où tout est poison pour qui l’écoute”.
II. De “Grands dieux !” à “abrégeons, quels sont vos desseins ?» : Tentative de raisonner à l’endroit de son statut ou ce qui l’en paraît
Devant l’indifférence prononcée d’Hermocrate, Phocion accuse sur un autre registre, la position qu’impose Hermocrate parmi les gens (sage, réponds au courage, etc.) et attaque de son point de vue (solitude, maîtresse de soi-même, grande fortune, retraite, pas d’amour, indifférence, etc.) l’indifférence raisonnable que trahirait le cœur la vertu d’aimer foncièrement déraisonnable ou d’un malaise si criant lorsqu’il annonce “je ne saurais plus supporter ce récit”.
Phocion réussit dans ce mouvement à installer ce conflit raison/cœur dans l’esprit d’Hermocrate qui dépourvu, demande à l’abréger, à le raccourcir, à aller droit au but de ce qui met à défaut son raisonnement ou tentative.
III. De “Ce récit vous paraît frivole” à “je vous suis”: Tentative de troubler son esprit à l’endroit de son désir qui réussit
Hermocrate concède au charme de Phocion qu’il appuie et en saisit la crainte d’aimer ou de n’être aimé et qu’elle rassure.
Hermocrate troublé d’esprit concède à ce qu’elle reste le temps d’être résolu…
Conclusion
Dans ce court extrait, Marivaux met en scène une dynamique d’Amour, une économie de désir qui tente de se justifier premièrement à l’endroit de Phocion non sans buter à l’indifférence raisonnable d’Hermocrate mais qui lui en cède un reste que finirait de l’achever à la deuxième tentative de le justifier cette fois-ci à l’endroit même d’Hermocrate en deux étapes : questionner son statut et y trouver la faille raisonnable qui justifierait le désir déraisonnable… l’amour triomphe une fois de plus!
La mise en perspective de son premier désir : “un sentiment d’équité” qui l’anime et une “je ne sais quelle inspiration” nourrit de force sa prétention pour Hermocrate porté à ce qu’il constitue, instruit chez Agis. Ce “je ne sais quelle inspiration” a eu raison d’elle et fraye d’équité sa circonstance auprès d’Agis lui rendant ce que lui est dû que l’amour en triomphe à son endroit !
Qui de Phocion ou Hermocrate a triomphé ?
L’Amour…