“[…] a garçons abandonee”.

Il est question ici d’un extrait de l’œuvre “Le Chevalier au Lion” de son auteur Chrétien de Troyes du ver 4048 commençant par “Neporquant ancor…” à la ligne 4138 se terminant par “a graçons abandonee”, dans lequel sont racontés : Le chevalier au lion, Yvains, le seigneur et ses fils, le géant et son compagnon.

L’œuvre, écrite en langue romane en 1176 et d’inspiration bretonne, est fidèle au genre “courtois” comme “cour”, caractéristique de l’époque chevaleresque aristocratique médiévale : Sont mis en scène des héros, des monstres, des châteaux, des princes, rois, des tournois, etc.

Si le sujet principal est autour de l’amour d’une Dame et l’aventure, les thèmes ne tarissent pas et touchent n’en finisse à la raison, justice, croyance, morale, amitié, bravoure, beauté, ou cruauté.

Un récit chevaleresque qui ne se trahit à cet extrait sur les versants d’un amour “fou” déraisonnable, au tréfonds de son cœur, au sens qu’il n’est dicible, que la raison ne puisse aborder; et le versant de ce qui s’impose à la raison comme fait, aventure, réalité, idéal et symbole.

Comment à la rencontre de ces deux versants semblant équivoques, jaillirait une noblesse chevaleresque au timbre yvanesque? En ces cinq mouvements, se dégage de cet extrait une vision de noblesse chevaleresque assez particulière :

I. l’arrivée tant attendue du géant symbole de la bassesse de “Neporquant” à “amenoit”

II. les chevaliers malmenés par le géant et son compagnon de “Et un pel” à “et le nain”

III. le discours du géant à l’épreuve de la bassesse ou tout simplement cru de “Devant la porte” à “lor escot”

IV. le seigneur perçoit du discours du géant une épreuve de bassesse de “Par po” à “et sopire”

V. Yvain y adhère au sentiment du seigneur… mais pour toute une autre raison! de “Et lors” à “abandonee”

I. de “Neporquant” à “amenoit.”: l’arrivée tant attendue du géant

Yvains, le chevalier au lion, est engagé auprès de Lunette, sa bienfaitrice et auteure de son bonheur auprès de la Dame, à la délivrer du bûcher monté par ses calomniateurs. Son hôte pour la nuit, et parent de son cher ami Gauvain, souffre les méfaits à répétition d’un géant. Le chevalier sensible au malheur de son hôte accepte de l’aider dans le délai imparti à l’exécution de Lunette.

Et pourtant il resta plus longtemps…

La situation est d’autant critique puisque c’est de la vie des quatre chevaliers fils de son hôte qu’il s’agit aujourd’hui, ayant déjà perdu deux, s’il refuse de livrer sa fille au sort que n’essuierait nulle mort. Qui d’autre est impuissant de faire face au géant, ne lui laisse le choix comme par obligation. Une obligation qui l’engage sans manquement auprès de son ami également.

Lunette signifie pour lui autant : c’est elle qu’il l’a sauvé au château des représailles suite à la mort de l’époux de la Dame ; qui lui a ouvert la voie inespérée au cœur de sa bienaimée dont il ne pouvait s’en départir et à la folie!

Que de noblesse ou amour, choisirait un chevalier ? l’un ne pouvant tenir sans l’autre, le chevalier sans l’un ou l’autre… il reste sans bouger !

Le géant (jaianz) fini par arriver à vive allure (batant) amenant les quatre chevaliers, du côté du bois.

II. de “Et un pel” à “et le nain”: les chevaliers malmenés par le géant et le nain

Le passage décrit en quoi le géant (et le nain) malmenaient les chevaliers sur quatre roussins (roncins) en pitre état (des chevaliers et chevaux) avec son pieu (pel) et un détail important : “vindrent lez le bois”, du côté du bois.

S’agit-il du bois où se trouve Lunette ? ce serait en soi un soulagement, car il (Yvains) l’aurait croisé de toute façon sur son chemin… et qu’il serait inévitable ! ce serait de noblesse et d’amour en force alors que le chevalier affronterait le géant qui symboliserait tranchant, sans équivoque, tout ce qui est bassesse et désamour.

Le passage décrit également l’agissement du compagnon du géant, un nain (fel) traduit en vindicatif de vengeance mais qui pourrait signifier aussi cruel, terrible, âpre, rude, mauvais, etc. Si de physionomie, la force physique penche du côté du géant, le nain semble (come boz anflez) plus empli de méchanceté, plus vigoureux à fouetter sans arrêt (Onques ne les fina de batre) les chevaliers ou ce qu’ils représentent et qu’ils en saignent (seinnoient)… aussi le commentaire 189 laisse entendre au-delà de l’aspect comique de la comparaison avec le crapaud, une dimension symbolique qui suggérerait les accointances diaboliques du nain et de son maître.

“Du nain et de son maître» ? ou plutôt “du géant et de son maître”? il serait intéressant de questionner l’origine de ce rapport de haine…

III. de “Devant la porte,” à “lor escot”: le discours du géant

Le géant défie le seigneur et menace ses fils de mort s’il ne lui remette sa fille. La fille ou ce qu’elle représente semble l’enjeu de cette affaire, ce commerce dangereux et impitoyable.

Le géant renchérit du traitement, de l’humiliation et du déshonneur qu’il réserverait à la fille. Si le mot (jaelise) est traduit prostituée il peut aussi désigner en anglais ou arabe, d’autres langues de l’époque du français, une belle compagnie. D’autant le terme (garçonaille) ou Rabble of knaves du dictionnaire de l’université d’Ottawa, pourrait, sur un autre registre, signifier valets, etc. Certes dans un vocabulaire cru mais assez digne d’un rustre au sens propre.

S’il affirme n’avoir d’affection pour elle (l’ainme tant) ce n’est peut-être le cas par exemple du nain! pourrait on enfin, imaginer la scène de (se daingnast avillier) comme preuve qu’il n’est tombé amoureux d’elle quand Amour signifie tomber, se plier, se soumettre, sur ses genoux par terre devant son bien aimé(e), une scène qui ressemble à ce que Yvains concédait entre les mains de sa Dame à titre d’exemple.

Reste que la question de ce que pourrait on accomplir de la captivité de la fille, qu’on n’aurait pu obtenir de la mort de ses deux frères et la torture et menace de mort des quatre restants ? reste ouverte.

IV. de “Par po” à “et sopire”: le seigneur perçoit…

Le seigneur qui entend, perçoit du discours du géant, son dessein à “prostituer” sa fille ou s’il refuse, de tuer le restant de ses fils, enrage, et est impuissant (plore formant et sopire), en détresse que le chevalier au lion saisit et répond.

V. de “Et lors” à “abandonee”: Yvains adhère au sentiment du seigneur

Yvains fait état de l’arrogance et de l’orgueil incommensurable du géant que justifie l’invocation de (Mes ja Dex) pour n’infliger un tel destin de déshonneur : de livrer, d’abandonner la “fille belle et de haute naissance” (parage), à la valetaille (garçons).

La mise en perspective de ce comment fonctionne le système de parage de l’ère féodale, laisse entrevoir la responsabilité qu’incombe à l’aîné(e) d’éviter le morcellement du fief familial d’une part, et d’autre part, l’implication de cette même fille, dans l’opposition sans concession de Yvains à son cher ami Gauvain, à la cour du roi, dans un combat plus mortel que celui qui l’opposerait aujourd’hui au géant, lorsqu’elle décida d’en priver de son héritage sa cadette ou de n’en faire son vassale!

“La fille belle et de haute naissance” comme désignée auparavant par Yvains, est ce que le roi décrit comme (la dameisele qui sa seror a fors botee de sa terre et deseritee par force et par male merci) au moment de rendre son jugement pour départager les deux sœurs.

Conclusion

De ce récit deux moments culminants sont venus éclairer de leur lumière la position d’Yvains: le premier est au début du récit et concerne le fait que le géant arrivait du bois sur le chemin pour Yvains de libérer Lunette et retrouver sa bienaimée; et le deuxième, après le récit, lorsque le roi Arthur rendait sa signifiance à “La fille belle et de haute naissance” dont Yvains ne pourrait se vanter d’avoir secouru.

Deux réalités que l’une est réelle et l’autre d’un vif imaginaire que supporte le même signifiant “La fille belle et de haute naissance” qui ne remettent en question la position d’Yvains d’avoir d’abord placé son jugement sur ce qu’un mortel d’orgueil, dans son discours, même de la hauteur d’une montagne, le géant, ne s’octroie à la place de Dieu.