Socialisation primaire

Sur la base du texte : Martine Court, La Sociologie des enfants, Seuil Repères, chapitre 3. En quoi la sociabilité entre pairs des enfants contribue-t-elle malgré tout à les former aux normes adultes ?

La question évoque la sociabilité entre enfants, mais s’agit-il du fait social (frères et sœurs, famille, entourage, amis, etc.) ? Ou de la méthode (dans l’école, aires de jeu, clubs, etc.) ? Ne s’agirait-il pas à l’extrême d’une “société” de petits enfants, infantile ? Qui forme et se forme aux normes d’adultes ? Et dans ce sens ne contribue pas juste à les former aux normes d’adultes mais à en former ?

L’enfant se formerait-t-il aux normes de l’adulte qu’il devient demain ? Ou de l’autre qui est l’adulte d’aujourd’hui ? Et de quelles normes parle-t-on ? Celles que l’adulte s’impose dans sa conduite avec ses compères ? Des enfants ? Ou que l’enfant ou le groupe d’enfants assimile ?

L’enfant s’oppose à l’autorité de l’adulte

Il est indéniable que l’enfant s’oppose, résiste à l’autorité de l’adulte. Les règles, les attentes de l’adulte contraignent l’enfant. La contrainte oblige l’enfant à s’adapter. Cette adaptation a un double enjeu pour l’enfant : s’assurer le support de l’adulte, par qui passe son besoin, s’affirmer en tant que personne, en quête de son besoin. Ce qui lui confère un statut, une identité dans le groupe, la société.

Dans une suite chronologique, l’autre pour l’enfant est d’abord sa mère, qui prend soin de lui au sens le plus basique, dans l’autosuffisance ; de son père, qui prend soin de lui, en “s’opposant” au rôle de la mère, introduisant une dimension encore plus réaliste, orientée vers le monde extérieur, la société dans ses règles, contraintes, etc. ; de son entourage, qui prend soin de lui, qui reprend ou non le rôle des figures primaires de sa mère ou de son père et rajoute une polarisation nouvelle à cette opposition.

L’enfant s’adapte

L’enfant s’adapte à son petit entourage mère/père, à ses frères et sœurs, à son entourage proche et lointain. L’adaptation première à son environnement “mère” se complexifie et intègre de nouvelles composantes : “père”, “frère”, “sœur”, “cousin”, “camarade”, “ami”, etc.

Si l’équilibre premier est atteint, l’introduction de la composante “père” ou autre le remet en question. La composante “père” agit sur l’enfant directement mais indirectement aussi via la composante “mère”, composante du premier équilibre. Ce qui l’oblige à nuancer son stratagème pour obtenir à nouveau ce qu’il désire sachant que c’est la composante “père” qui agit maintenant.

L’introduction d’une composante “frère”, “sœur”, “cousin”, ou “ami” est d’autant particulière puisqu’elle représente son image chez l’autre. Il s’agit de son semblable qui subit ou désire les mêmes choses, qui est contraint de la même façon ou différemment, qui cherche à s’adapter, qui ne réagit pas de la même façon que les adultes, différent des adultes.

Le pair partage son terrain de jeu

L’enfant a un complice, un modèle, un meilleur copain, qui lui file des stratagèmes pour obtenir ce qu’il désire, pour faillir à ce qui le contraint, qu’il les lui file en retour, des nouveaux, par retour d’expérience ou imagination, avec qui il partage le “non” en opposition à l’autorité de l’adulte, le « oui » au jeu, à la non-contrainte, qui élargit avec lui son champ d’action “contre” l’adulte, s’offrent un plus large espace de s’affirmer, de retrouver un nouvel équilibre, des réponses, une identité plus marquée.

Dans cette logique, l’enfant semble ne pouvoir toujours échapper aux composantes sources de son désir, autosatisfaction, de son premier équilibre qui semblait marcher à merveille. Son pair est là pour l’aider en semblable à s’affirmer, à assimiler, à ne pas se faire “écrasé” par les adultes ou autres “non-semblables”, à mieux les gérer en groupe, à mieux entrevoir son nouvel équilibre à l’image de son équilibre primaire ou ce qu’il en semble.

L’union fait la force! Mais…

Force est de constater que le complice déçoit aussi. C’est l’occasion pour que de nouvelles règles “adultes” encadrent le désarroi de l’enfant, trouvent leur approbation auprès de lui et intègrent sa conduite. Étant le complice de son ami, jouant également ce rôle pour son autre ami, ces règles lui sont transmises à son tour, par l’intermédiaire de son ami, des adultes qui l’encadrent.

L’enfant semble ne jamais échapper aux règles adultes que ce soit dans l’approbation ou l’opposition, à moins de supposer une interaction purement infantile, de l’intérieur et qui exclut l’autre.

Une société infantile

L’enfant serait-il en parfaite autonomie sociale ? Capable de créer du contenu social ? Qu’il partage ensuite avec compères ou adultes ?

  • L’observation de l’enfant en groupe mettrait en évidence un ordre régi par quelques règles bien établies :
  • Dans le jeu, les enfants ne font pas de distinction d’origine (de pays ou régions),
  • le meilleur copain est celui du même sexe,• les groupes sont sexués,
  • ne sont pas « exclus » les amoureux n’ayant le même âge, la même couleur de peau, etc.,
  • le masculin est dominant par la force physique,
  • la proximité spatiale favorise le lien…

Si dans la société d’adultes cela semble contredit, controversé, qu’est-ce qui expliquerait une telle organisation chez les groupes d’enfants ? Est-ce une prédisposition chez l’enfant qui fait de lui l’adulte de demain ? Ou est-ce qu’il s’agit d’une forme d’opposition à l’autre qu’est l’adulte d’aujourd’hui ? S’agissant de phénomènes qu’ou pourrait soustraire à la négation des règles
de vie des adultes ?

Dans un sens, l’adaptation de l’enfant aux contraintes de l’adulte premier (mère, père) oblige une opposition. L’opposition marque la non-acceptation de la contrainte et l’affirmation de son désir. Il est tout à fait naturel dès lors que l’enfant essaye de rapporter cette « frustration » et recherche d’affirmation, au domaine du jeu de ses compères où tout est permis ou presque.

Aux règles, phénomènes ou traits sociaux établis par l’adulte qui seraient à l’opposé de ce qui est observé chez l’enfant telles que la « distinction d’origine » dans les rapports humains, l’« asexuation de la relation amicale », la « mixité », l’« amour sans tabous », la « féminisation », la « méfiance », etc., l’enfant, en bon observateur, n’est-il pas entrain de remettre en question la position des adultes ? Il lui suffirait d’un peu de liberté, d’espace pour extérioriser ce désaccord…

Dans un autre sens, l’enfant chercherait à accomplir son désir, quelque chose qui lui est propre, intérieure. Dans le jeu par exemple, ce ne serait plus question de faire ou pas de distinction d’origine, mais tout simplement « jouer » car jouer signifie quelque chose d’autre en tant que jeu.

Dès lors la question sur ce que signifierait le jeu pour l’enfant est légitime. Et quel intérêt pour l’enfant de distinguer l’origine de son compagnon de jeu ? Que signifierait pour lui l’origine de son compagnon de jeu ? Qu’il les approuve ou désapprouve, l’enfant se soumet à l’exercice des règles, qu’il s’approprie ou
pas, de l’adulte. Et si c’était l’inverse qui se reproduisait ? Que l’enfant soumette l’adulte à ses règles ?

L’enfant tyran de l’adulte !

L’enfant se pose des questions. Si les adultes sont d’une utilité pour lui c’est qu’ils apportent une réponse à ces questions ou au moins une ouverture, un aménagement d’espace de liberté, de recherche. Que les réponses soient
acceptées ou non c’en est une autre question.

Et les adultes ne sont tous du même niveau de tolérance, d’ouverture au questionnement de l’enfant, d’intelligence… ce que l’enfant n’obtient de ses parents l’obtient des parents de son copain, au travers de l’interaction qu’il a avec ce dernier. N’a-t-il pas développé dés lors une intelligence supérieure à ses parents ? N’est-il pas entrain de leur apprendre ? À les soumettre, former aux normes d’autres adultes certes mais de son copain ou ce qu’il en a assimilé ?

La sociabilité entre pairs des enfants, une preuve et un moyen

Parce qu’il questionne, l’enfant se forme directement ou indirectement aux normes d’adultes. La sociabilité entre pairs des enfants en est la preuve et également le moyen, un terrain de jeu, d’apprentissage. La sociabilité semble permettre à l’enfant de s’accomplir, de se former aux normes de l’adulte qu’il devient sur la base de ce que les adultes, les autres, établissent ou pas comme règles et normes.