La sociologie est une science, et comme toute science, elle a un objet et un outil propre pour le mesurer. Son objet est de nature foncièrement propre qu’est “la vie de la société” d’individus en interaction. Cette vie de société est différente d’un agrégat statistique d’individus dans leur somme d’individualités, de vies
individuelles.
Le travail sur cet objet est possible selon au moins deux approches : compréhensive et explicative.
approche compréhensive
Dans une approche compréhensive, l’objet propre de la société correspond aux habitudes collectives et les transformations par lesquelles elles passent. Il y aurait des forces interpersonnelles qui domineraient les individus eux-mêmes. L’une d’elles est la force de l’opinion publique. Comprendre la dynamique d’une telle force selon une approche idéologique revient à répondre à la question “si on fait ça on aura ça”. Si cette approche est synonyme d’analyse profonde, de recherche de détails intrinsèques, davantage de précision, de l’origine des représentations, elle n’est pas une psychologie d’individus mais plus une
“psychologie” de société en tant que telle, à l’extrême.
approche explicative
Dans une approche explicative, on constate une certaine régularité des faits sociaux, et par une généralisation de ces observations, l’on cherche à établir des lois explicatives des rapports, des faits de structure, des relations de coexistence, de précédence, en allant d’un fait social à un autre. Expliquer les
liens entre ces faits selon une approche nomothétique revient à répondre à la questions “on a ça parce qu’on eu ça”. Il s’agit dans cette approche, d’établir l’histoire propre de la société et non des histoires d’individus.
le bouchon… un fait social!
L’étude non exhaustif de deux faits sociaux : le bouchon routier parisien et la régate de la communauté de navigation, permet d’illustrer les deux possibilités de travail.
Dans les deux cas, il s’agit de loin de deux agrégats denses d’individus évoluant dans un circuit commun pour joindre un point B au départ d’un point A, disposant d’un moyen équivalent : le véhicule dans un cas et le voilier dans l’autre. En condition normale (sans bouchon) le comportement individuel prime, il n’y a pas de contrainte particulière interpersonnelle, le caractère aléatoire en ait le plus dominant. A l’occasion d’un bouchon, le comportement individuel a tendance à s’homogénéiser et se cristalliser autour des
observations suivantes :
- les lignes se resserrent : une tentative de se garder une certaine distance de sécurité (de 10 longueurs de voitures ou bateaux, par exemple) se solderait par un klaxon dans le premier cas et d’une incompréhension dans l’autre se voyant dépassé à grande fanfare par les autres régatiers.
- le changement de files (ou la tentative de s’insérer dans une nouvelle file) ou allures moins fréquents : sans que la manœuvre ne pose des difficultés techniques particulières, on admet moins dans le premier cas qu’on vienne s’intercaler entre son véhicule et entre celui de devant. Dans le deuxième cas, c’est une décision à calculer minutieusement sur le plan tactique.
- le nombre de freinage dans le premier cas est très important (en comparaison avec la situation normale). Dans le deuxième cas, tout le monde est conscient qu’un freinage peut être synonyme de perte de la course, on prévoit le freinage mais l’on ne freine pas!
Dans une tentative, explicative, de généralisation, qu’est-ce qui permettrait d’expliquer la stratégie de serrer la file, de changer de files, de freiner, dans les deux observations?
- en ce qui concerne la stratégie de serrer la file, elle est plus compréhensible dans le cas des régatiers puisqu’arriver en bonne position est l’enjeu de la course mais dans le cas des routiers pourrait-on l’expliquer pareillement par un quelconque enjeu de course?
- s’agissant de changements de files ou tentative d’insertion dans une nouvelle file, il y a une acceptation générale qu’un changement d’allure chez un régatier puisse induire le changement d’allure de l’autre régatier dans ce cas il s’agirait d’une attaque prévue par les règles de priorité de la course; dans un autre cas, ce serait un choix tactique par rapport aux conditions générale de la course (qui n’exclut pas la météo). Mais qu’est-ce qui expliquerait dans le cas des routiers, cette réticence à céder le passage? ou à permettre de changer de file? y aurait-il là un choix tactique à changer de file ou à empêcher l’autre de s’intercaler?
- pour ce qui est du freinage, il est coûteux dans le cas des régatiers puisqu’il oblige à relancer le voilier marchant exclusivement à la force vélique; et pris dans la flotte, il est presque impossible de rattraper le bon vent (le vent en écoulement étant perturbé par les autres voiliers). Dans le cas des routiers, qu’est-ce qui pourrait expliquer la stratégie d’arrêt/relance fréquente? le stock illimité du carburant?
Dans une démarche explicative, on serait tenté d’expliquer un fait par les éléments que l’autre fait permet de comprendre et de chercher à généraliser. Une tentative grossière de généralisation serait de dire par exemple : les routiers serrent les lignes parce qu’ils veulent arriver les premiers, changent de file pour une raison tactique, freinent souvent parce qu’il est facile de relancer et garder la ligne serrée et que le carburant est gratuit.
Si l’on considère le fait que 20.000 stages routiers de récupération de points sont organisés par an en France pour un total d’environ 300.000 stagiers par an et que dans chaque stage, animé par un expert routier, on explique sur au moins 2 jours la vérité (scientifique) suivante :
- garder une distance suffisante de sécurité (même en bouchon),
- prévoir le changement de ligne ou insertion de nouveaux dans la file,
- supprimer aux maximum le freinage,
- rouler à plus de 5km/h en dessous de la vitesse maximum indiquée par le panneau signalétique,
permet de réduire les bouchons, la consommation du carburant et l’état de stress, comment dans ce cas, expliquer la contradiction que soulève la première tentative de généralisation? il est nécessaire soit d’élargir à d’autres comparaisons, tentatives d’explication ou de chercher dans une approche idéologique, compréhensive, les raisons profondes d’un tel comportement collectif.